La terrible solitude des feuilles: métaphores végétales dans l’œuvre de Benjamin Fondane et Jean Pierre Milovanoff
Solitude des feuilles, solitude de l’âme, solitude du «je» s’entrecroisent dans l’œuvre de cet «Ulysse juif» qui est Benjamin Fondane. Poète, philosophe et critique littéraire, il incarne les éternels «fantômes» de l’errance juive. Errance recherchée et errance désirée la sienne, il renonce à son pays natal, la Moldavie, pour suivre la littérature française à laquelle il s’identifie et dont il souligne la dépendance. Tout en adoptant la nouvelle identité littéraire française, il ne renonce pas à son identité roumaine, en continuant à maintenir une relation ambigüe avec son pays d’origine. Que ce soit l’exil du lieu ou l’exil du «je», c’est à travers ce leitmotiv récurrent qu’on se propose, dans la première partie de cet article, d’explorer les métaphores végétales dans son œuvre et en particulier dans le recueil de poèmes en langue roumaine Privelisti (Paysages, 1917). La poésie sur le monde végétal se fonde dans la poésie sur la «femme-maïs», dans la poésie sur le «spleen», dans la poésie sur «le ciel qui tombe, doucement, comme tomberait une feuille» et l’hymne à la terre «du blé» devient en même temps l’hymne à l’amour, l’hymne à l’amitié, l’hymne à ses origines.
On écoutera, dans la deuxième partie de cette contribution, le chant désespéré des arbres dans la prose de Jean-Pierre Milovanoff. Auteur français d’origine russe, il vit un exil qui n’est pas le sien, un exil «blanc», l’exil de son père. Le déracinement est raconté par l’auteur dans une «langue de rouille et de feuilles froissées, de fruits, […] de parcs». L’évocation des souvenirs a lieu à Platanes dans une «maison en ruine sous les feuillages» près d’un «bosquet de thuyas et d’épicéas, appelé emphatiquement «la forêt». On va parcourir les traces du passé et celles du présent assis dans une chaise longue installée «dans le parc pour y dormir», fascinés par «un univers de maïs et de vignes» ou protégés par la Vierge et «des rameaux d’olivier». Le sentiment végétal habite tout le récit et c’est à travers cette perspective qu’on observera comment Milovanoff amalgame d’une part l’accent du Midi, «mélodie de l’occitan» et d’autre part, l’accent russe qui lui rappelait que son père «venait d’ailleurs».
Enfin, que ce soit pour l’importance des racines ou pour l’élégance des branches, que ce soit pour leur immensité ou pour la solitude que les feuilles évoquent en se flétrissant, les hommes se sont toujours identifiés aux arbres. Donc, la présence du règne végétal chez Fondane, tout autant que chez Milovanoff ou chez beaucoup d’autres auteurs, porte à la création d’autres règnes et ouvre à la naissance d’autres mondes directement ou indirectement liés à cette fusion entre le sentiment végétal et le sentiment humain, fusion qui permet la floraison du vers, de la prose, de la pensée.
Mots-clés: Milovanoff, Fondane, Exil, Déracinement, Végétal